「タミクレスト、ティナリウェンを蒔いた種を、新世代のミュージシャンが育てないと消えてしまう。」
Music Magazine Japan、Ousmane Ag Mossa itv, 2014年3月号
文 Alissa Descotes-Toyosaki
Ousmane Ag Mossa INTERVIEW 2014
“La génération après Tinariwen doit faire pousser des graines si elle ne veut pas mourir”
Publication “Music Magazine”, Japon, fev 2014
© Alissa Descotes-Toyosaki
Une génération qui n’a pas connu la vie nomade
En santiags jour et nuit, Ousmane Ag Mossa ne porte jamais de chech, déteste les boubous bazins et les sandales en peau. Antithèse du touareg de carte postale, le leader de Tamikrest respire moins le chameau que l’essence de son 4×4 dans lequel il sillonne les rues poussiéreuses de Kidal ou l’asphalte troué de Tamanrasset. Entre ces deux villes du Nord Mali et du Sud Algérien, une piste de 800 km parsemée à perte de vue de landes sableuses, d’oueds et de rochers fantastiques. C’est dans ces environs qu’Ousmane est né, il y a 28 ans, à Tin-Zaoutane, une ville du désert de 6000 âmes coupée en deux. Au nord, la “Tinza” algérienne, au sud la Tinza malienne, et au milieu une communauté – les Kel Adagh- divisée en deux nationalités-qui illustre l’absurdité des frontières tracées par les français. Sans territoire, le peuple touareg, morcelé depuis les indépendances entre le Niger, le Mali, l’Algérie, la Libye et le Burkina Faso, ne peut se distinguer que par l’usage de la langue tamasheq, celle dans laquelle chante Ousmane. Une langue vieille comme le monde, héritière des ancêtres protoberbères et lybiques, qui a survécu aux aléas du temps grâce aux femmes. Son alphabet, le tifinagh, est à l’image de cette civilisation nomade qui parcourt à pied le désert avec le bétail: tout en jambes et en points. Ousmane est arrivé trop tard pour connaître l’insouciance de la vie sous la tente, à se nourrir de lait de chamelle et de fromage seché: déjà en 73 puis en 84, les sécheresses meurtrières avaient deferlé sur le Sahara central, tuant tout le cheptel.
Les animaux, en particulier les dromadaires, ont pour les touaregs une valeur socio-économique et affective qui cimente leur identité. Sans eux, il n’y avait plus de raison de vivre dans le désert et c’est aux abords des villes que les bergers durent réinventer un idéal. Mais à part la pauvreté et la discrimination d’un gouvernement il n’y avait pas d’avenir là-bas. Des milliers de jeunes chômeurs – les “ishoumar”- préferèrent l’exil vers la Libye de Kadhafi, qui recrutait en ce temps-là dans les camps militaires. Un de ceux-la sera Ibrahim Ag Alhabib qui crée dans les années 80 le groupe Tinariwen, où pour la première fois la musique, traditionnellement jouée par les femmes, devient le moyen pour les hommes de véhiculer un message de lutte contre l’oppression. En 90, éclate une deuxième rébellion touarègue contre le Mali, qui revendique l’autonomie d’un vaste territoire désertique, l’Azawad, qui inclut les régions de Tombouctou, Gao et Kidal.
Ousmane et les futurs membres de Tamikrest fuient les exactions de l’armée malienne avec leurs familles. C’est aux abords des villes, entre le Mali et l’Algérie, qu’ils entendent pour la première fois un nouveau chant de rébellion porté par les guitares deTinariwen. En 2006, alors que ce groupe précurseur fait le tour du monde, une autre insurrection touarègue éclate au Nord Mali. C’est le moment que choisit Ousmane pour créer Tamikrest et chanter à son tour un message plus orienté vers la réflexion: les thèmes abordés sont la douleur du peuple face à l’oppression de l’Etat mais aussi face à la division de ses propres leaders. De Toumastin à Adagh, le nouvel album Chatma- les soeurs- , enregistré à des milliers de kilomètres de la terre natale alors que la guerre au Mali fait rage, est aussi désenchanté que visionnaire. A la corruption et à l’islamisme, les femmes touarègues, gardiennes de la tradition semblent plus que jamais chanter l’espoir du retour à la terre natale. Depuis 1963 où l’armée malienne perpètre des massacres sur la population civile, la volonté de libérer l’Azawad n’a fait que se renforcer. En avril 2012, cet objectif si longuement désiré a abouti à la déclaration de la République laique de l’Azawad mais n’a pas trouvé de reconnaissance internationale. Sans terre, il ne peut y avoir de liberté. L’Azawad, terre revée, continue de forger l’espoir de tout un peuple dont Ousmane et ses musiciens se font les messagers.
(Interview Ousmane Ag Mossa, France, sept 2013)
-Vous avez 5 ans en 1990. Vous êtes où?
Nous avons fui l’armée malienne avec ma famille. Je me rappelle des femmes qui se cachent avec les petits-enfants dans la cavité des acacias, le visage recouvert de leur voile. Ma petite soeur de 2 mois est morte de maladie peu de temps après. Je ne comprenais pas encore à l’époque mais maintenant je sais qu’elle est morte de cet exil. Cette injustice me fait penser que la guerre devrait être revendiquée sous un autre nom que celle des touaregs, pour éviter que les populations paient de leur vie.
-Après les accords avec le gouvernement malien en 92, la paix revient provisoirement. Il y a une école que vous présentez dans l’album “Adagh”, quels souvenirs y avez-vous?
Les professeurs de l’école de Tinza, créee par l’association française les enfants de l’Adrar, nous ont donné un grand courage et de l’optimisme, ils nous enseignaient le tifinagh en plus du français. A la fin de l’année scolaire, il y avait une fête. Les enfants du désert n’aiment pas l’école donc c’était une stratégie pour nous faire composer sur le thème de l’ignorance, l’importance de l’instruction etc. C’est là que j’ai trouvé ma première guitare.
-Quelle était votre ambition à l’époque?
Mon objectif n’était pas d’être musicien. Biensur j’écoutais la musique de Tinariwen depuis que j’étais tout petit et je répetais même leur chanson, j’avais un grand plaisir à jouer la guitare mais c’était tout. Mon ambition était de continuer mes études pour faire quelquechose pour notre communauté. Nous n’avons pas de journalistes, de diplomates pour nous défendre au niveau international donc c’est un métier comme ça que je voulais faire.
– Pourquoi avez-vous changé de direction?
En 2002, j’ai du partir à Kidal continuer mes études mais à l’école ce n’était plus pareil du tout. On sentait la discrimination, on nous traitait déjà comme des terroristes.
J’ai pensé que je ne pourrai pas aller loin dans cette direction.
– En 2006, une autre rébellion éclate. Vous y avez participé?
Non, mais tout mon entourage y a participé. Les accords de paix de 92 n’ont pas été respectés par l’Etat malien et les aides étrangères pour le nord ont été détournées. Mon école de Tinza a été détruite en 2007 par l’armée malienne, et c’est eux qui devrait être qualifiés de “terroristes”. A cette époque, j’étais à Tamanrasset et on jouait beaucoup entre amis dans des petits concerts. C’est à ce moment là que j’ai pensé que la génération après Tinariwen devait faire pousser des graines si elle ne voulait pas mourir. C’est comme ça que Tamikrest est né.
– Quel message voulait véhiculer Tamikrest?
Ca ne m’interesse pas de parler directement de la rébellion, mais je veux donner mon point de vue sur le problème et comment on va s’en sortir. Avant de penser à la rébellion, peut-être doit-on réfléchir sur notre système de castes très rigide ou sur les jalousies qui empoisonnent notre communauté divisée en tribus. Tamikrest veut dire “le noeud”
-Comment Tamikrest a commencé sa carrière?
Je voulais diffuser au Mali au début. Les gens de Bamako ne connaissent pas du tout le désert ni la réalité des touaregs. On a contacté la télévision nationale malienne pour proposer une diffusion de Tamikrest. C’était une chanson normale, pas une chanson revolutionnaire! mais finalement ça n’a pas marché. Ensuite, en 2008, on a rencontré le groupe de rock Dirtmusic, au festival du désert près de Tombouctou. On a bu du thé, fait des sessions ensemble et finalement le musicien et producteur Chris Eckman nous a proposé d’enregistrer sur leur album à Bamako. C’est ce qui a donné notre premier album “Adagh”.
– Vos impressions en jouant avec Dirtmusic
J’avais appris la guitare sur des groupes de rock occidentaux comme Pink Floyd et donc ça m’a semblé naturel. Le morceau “Toumastin” sur Adagh contient aussi des glissés de guitare de Hugo Race (ex-Bad Seeds). Et nous avons un nouveau guitariste français, Paul Salvagnac, qui joue sur l’album Chatma et qui enrichit nos sonorités.
Je veux toujours rester un enfant du désert
– L’album Adagh a été très bien accueilli par la presse et vous êtes partis en tournée pour la première fois en 2010. Ensuite, en 2011, l’album “Toumastin” a été produit aussi par Glitterbeat. Quel était le contexte au Mali pendant ce temps-là?
Le Sahara est devenu interdit aux étrangers, une zone rouge avec des prises d’otage. Les groupes islamistes comme Aqmi, sont arrivés de l’Algérie vers le Nord Mali vers 2003. Au début, personne ne savait qui ils étaient. Ils allaient en brousse dans les campements nomades, avec le Coran pour en donner une nouvelle interprétation et proposer des “stages” dans les mosquées. Les touaregs sont musulmans et dès qu’on leur parle de l’islam, ils se retrouvent sans défense car beaucoup ne lisent pas l’arabe. L’implantation a commencé comme ca. La deuxième phase a été le trafic d’armes et de drogues. A partir de là, Dieu est devenu secondaire! On se le rappelle juste pour se donner bonne conscience. Le Mali a laissé s’implanter ces groupes pendant dix ans. Mais cela ne veut pas dire que les touaregs sont tous des terroristes. Ils sont comme des feuilles balayées par le vent et certaines situations les forcent à changer. Par exemple, une famille à nourrir. Si j’avais un enfant qui pleure parce qu’il a faim, je pense que je pourrai vendre ma propre religion et accepter n’importe quel travail, si je n’ai pas d’autres choix.
– Dans l’album Chatma, l’introduction parle de l'”ashek”, qui ressemble à notre code d’honneur japonais, le bushido.
Nous respectons l’humanité. En temps de guerre, nous ne tuons jamais les femmes, les enfants ou les vieillards. Devant les femmes et les personnes agées, un homme touareg se voile le visage et ne montre pas ses sentiments en signe de respect. C’est aussi l’ashek. Celles qui continuent à le transmettre aux hommes, ce sont les femmes.
– “Chatma” est un grand hommage aux femmes?
Je suis feministe. Enfant, j’étais tout le temps avec les femmes au puit. Les femmes touarègues sont libres. Dans un groupe d’hommes, elles sont acceptées comme des camarades, ce sont nos soeurs. C’est elles qui portent le poids de la guerre quand nous sommes au front. Elles ne se plaignent pas et nous encouragent. Un proverbe dit “La femme est la ceinture du pantalon”, autrement dit un homme qui ne respecte pas une femme n’est pas un homme!
– Vous êtes pour l’indépendance de l’Azawad?
Oui. Les touaregs doivent prendre en main leur propre destin. Le peuple de l’Azawad ne croit plus aux accords de paix avec le gouvernement malien. Je ne sais pas ce que la France ou l’Algérie vont chercher comme interêts chez nous mais nous ne vendrons jamais le désert ni ses ressources à des entreprises étrangères.
– Que faîtes-vous de votre temps libre ?
J’aime prendre mon 4×4 et partir dans le silence du désert pendant des semaines, faire mon feu, mon thé, avec ma guitare, regarder les étoiles. Je veux toujours rester un enfant du désert.